CONTENTIEUX PRUD’HOMAL : LA PREUVE EST LIBRE, MAIS DOIT ÊTRE LOYALE, EN PRINCIPE…

04 novembre 2022 Juridique

Le principe s’agissant du contentieux prud’homal est que la preuve est libre. La Cour de Cassation a réaffirmé ce principe à plusieurs reprises depuis un arrêt du 27 mars 2001 n°98-44.666. Ce principe de liberté de la preuve implique qu’aucun mode de preuve spécifique n’est imposé aux parties lors d’un contentieux prud’homal : document écrit, mail, sms, extrait de conversation, vidéo, photographie, attestation, témoignage, constat d’huissier, expertise… Il revient ensuite au juge d’apprécier souverainement les éléments de preuve apportés.

Cependant, à ce principe s’oppose celui de la loyauté de la preuve reconnue et protégée que ce soit en droit français (Cour de Cassation, Assemblée plénière, 7 janvier 2011, n° 09-14.316) ou en droit international, qui fait obstacle à la production de preuves obtenues en usant de manœuvres frauduleuses ou illégales. Cette exigence d’une preuve loyale découle de l’article 9 du code de procédure civile disposant qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Dès lors, une preuve dépourvue de légitimité entraîne en principe son rejet lors des débats (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 4 février 1998, n°95-43.421 ; Cour de Cassation, Chambre sociale, 8 octobre 2014, n°13-14.991.) Néanmoins, de plus en plus fréquemment, la Cour de Cassation opère une balance entre la nécessité de production d’une preuve lors d’un contentieux et l’exigence de loyauté, entre le droit à la preuve et le droit à d’autres libertés fondamentales (il s’agit souvent du droit au respect de la vie privée). Le juge recherche si la preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble et si le droit à la preuve peut justifier que des éléments portant atteinte à la vie privée, par exemple, puissent être versés aux débats. Cette production doit être indispensable à l’exercice du droit à la preuve et l’atteinte à l’autre droit doit être strictement proportionnée au but poursuivi (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 9 novembre 2016, n° 15-10.203). Un contrôle de proportionnalité est donc finalement opéré par les juges (Cour de cassation, Chambre sociale, 25 novembre 2020, n°17-19.523). De ce fait, il arrive de plus en plus qu’un mode de preuve déloyal et illicite soit versé aux débats, le droit à la preuve prenant le pas sur d’autres droits fondamentaux.

De nombreuses décisions récentes illustrent la balance pratiquée par les juges qui ont notamment admis comme mode de preuve :

• Des éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 30 sept. 2020, no 19-12.058,)

• Des informations qu’un salarié s’est procuré à l’insu de son employeur dans le cadre de ses fonctions (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 31 mars 2015, no 13-24.410)

• Une enquête suite à des faits de harcèlement moral réalisée à l’insu du salarié visé par la plainte (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 17 mars 2021, n° 18-25.597)

• Un enregistrement par un salarié à l’insu de son employeur (Cour d’Appel de Bourges, 26 mars 2021, n°19/01169)

• Des données issues d’un système de badgeage non déclaré à la CNIL permettant le contrôle des salariés (Cour d’Appel de Versailles, 3 juin 2021, n°18/01905)

• Des extraits issus d’un système de vidéosurveillance n’ayant pas fait l’objet d’une consultation des représentants du personnel (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 10 novembre 2021, n°20-12.263) Quoi qu’il en soit, en cas d’éventuel contentieux avec votre employeur, nous vous conseillons de conserver tous les éléments qui permettraient de constituer une preuve recevable. Il conviendra ensuite d’étudier avec votre avocat ou votre défenseur syndical l’admissibilité des éléments que vous aurez pu rassembler.

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