Orange, Accenture, La Poste ou Atos affichent chacune “une raison d’être”, c’est-à-dire qu’elles revendiquent l’idée de prendre en compte l’ensemble des parties prenantes touchées par leurs activités et de ne pas se contenter de produire uniquement des profits.
ORANGE :« ACTEUR DE CONFIANCE QUI DONNE À CHACUNE ET À CHACUN LES CLÉS D’UN MONDE NUMÉRIQUE RESPONSABLE. »
ACCENTURE : « RÉALISER LA PROMESSE DE LA TECHNOLOGIE ALLIÉE À L’INGÉNIOSITÉ HUMAINE. »
LA POSTE : « ENTREPRISE DE PROXIMITÉ HUMAINE ET TERRITORIALE QUI DÉVELOPPE LES ÉCHANGES ET TISSE DES LIENS ESSENTIELS EN CONTRIBUANT AUX BIENS COMMUNS DE LA SOCIÉTÉ TOUT ENTIÈRE. »
ATOS : « CONTRIBUER À FAÇONNER L’ESPACE INFORMATIONNEL. »
Innovation majeure, la raison d’être de l’entreprise est introduite en France par le rapport Notat-Senard et inscrite dans la loi Pacte du 22 mai 2019 avec la modification du Code civil (articles 1833/ 1835) et celle du statut d’entreprise à mission dans le Code du Commerce. Selon les termes de la loi « les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Il faut y voir un intérêt croissant pour la question du sens dans l’entreprise, ce que les Anglo-Saxons nomment purpose. Les dirigeants des grandes entreprises américaines de l’association Business Roundtable ont déclaré en 2019 que la raison d’être d’une entreprise ne pouvait être limitée à la poursuite du profit, mais devait prendre en compte l’ensemble des parties prenantes touchées par son activité, clients, employés, fournisseurs, communautés et actionnaires.
Aller plus loin que la simple intention ou de l’outil marketing
Quel sera son impact au regard de l’évolution actuelle de transformation et de stratégie de nos entreprises, c’est la question que pose Bertrand Valiorgue dans son essai, La Raison d’être de l’entreprise aux éditions Decitre. Pour lui, le simple ajout d’une raison d’être ne va pas, à lui seul, engager l’entreprise dans une logique de progrès social et environnemental. Intention stratégique des dirigeants, cohérence des portefeuilles d’activités de l’entreprise quitte à abandonner des activités périphériques ou aux conséquences négatives pour la société, présence de compétences et de ressources nécessaires, dialogue avec les parties prenantes et enfin empreinte sociétale des activités doivent apporter de la consistance à la raison d’être. À défaut, elle risque de rester une intention louable dans le meilleur des cas et au pire d’être utilisée comme un simple outil de communication.
Autres risques avancés par les analystes d’entreprises : que la raison d’être serve à justifier des indicateurs économiques moins exigeants et couvre des performances économiques dégradées elle ne devrait donc pas être décorrélée de la création de valeur sous peine de se couper des actionnaires ; enfin qu’elle soit utilisée, quand ses termes sont trop précis, comme mécanisme de protection anti-OPA (Offre publique d’achat). La “raison d’être” interroge également sur la défense de l’intérêt social et de l’indépendance du conseil d’administration. Deux écoles s’opposent sur les devoirs fiduciaires des administrateurs : l’une juge que les administrateurs ont des devoirs à l’égard des seuls actionnaires, tandis que la version défendue dans la Loi Pacte définit leurs devoirs à l’égard de l’entreprise elle même, considérée comme un agent autonome, dotée d’un intérêt propre.
Toutefois, les modes de nomination actuels, par la cooptation essentiellement, des conseils d’administration et le fonctionnement des AG d’actionnaires restent un frein fort à cette idée, principes que la loi n’a pas fait pour l’instant évoluer…
Un contexte favorable pour s’engager vers un capitalisme responsable
De la même façon certaines entreprises, comme Veolia, choisissent de formuler une raison d’être sans l’inscrire dans leurs statuts. Dans ce cas, la raison d’être n’a pas d’existence juridique et n’implique pas les mêmes obligations. Le législateur fait de la mission d’intérêt public la norme et non l’exception.
Pour autant, il s’est arrêté au milieu du gué en assujétissant les entreprises à mission à un statut particulier du code de commerce plutôt qu’à une obligation pour toutes les entreprises. Quoi qu’il en soit, sans instance démocratique et indépendante, garante du respect d’engagements chiffrés et opposables, la raison d’être revient à une version affaiblie du concept d’entreprise à mission.
Toutefois, deux ans après sa mise en place, Nathalie Rouvet Lazare (auteur de Raison d’Être des entreprises, deux ans après premier bilan édité par la Fondation Jean Jaurès) note que le contexte est favorable au sein des entreprises pour engager cette réflexion de long terme qui touche autant le capitalisme responsable, les enjeux sociaux et environnementaux. Elle note que l’appropriation est plus forte de la part des entreprises et des salariés que des actionnaires et investisseurs.
Il semblerait que les entreprises entretenant des relations harmonieuses avec les actionnaires, les fournisseurs, les clients et les banquiers soient les plus résilientes à la crise que celles ayant des rapports tyranniques. Jusqu’où les entreprises iront-elles dans ce travail de refondation stratégique ? Il est encore trop tôt pour en évaluer la portée. Pour le Medef, qui craint que les crises n’embarquent trop les entreprises sur le chemin de la RSE, les objectifs de rentabilité et les enjeux internes ne doivent pas être perdus de vue.
L’enjeu en 2021 sera de normer les données, notamment comptables comparables, et d’organiser différemment les AG pour décloisonner les réflexions. Pour Bruno Le Maire, ministre de l’Économie « la raison d’être, c’est le sens que les entreprises donneront à leurs activités économiques et leur manière de participer à un meilleur fonctionnement de la société, (…) permettant de ne plus opposer intérêt général et intérêt économique, pour bâtir une économie plus juste et plus efficace pour le XXIe siècle. » Il a sans doute raison… d’être optimiste.