LA SOUFFRANCE AU TRAVAIL L’EXPÉRIMENTATION DU RÉEL

17 décembre 2020 Fédération
homme souriant

Risques psycho sociaux (RPS) et souffrance au travail, quelle est la différence ? Les RPS sont une dénomination administrative, sans analyse du psychisme. La souffrance au travail est un concept clinique précis mais compliqué, né de l’écart entre le travail prescrit et le travail effectif, appelé le « réel du travail ». Quelle que soit la qualité de la prescription des tâches à accomplir, nous ne pouvons les mener à bien que si nous y ajoutons nos propres acquis, des astuces, des connaissances issus de notre capacité à anticiper les actions qui font partie d’un processus mental.  

Comme l’explique Christophe Dejours, le plaisir de travailler cède la place à la souffrance lorsque, de libérateur, le travail devient aliénateur. Il peut alors « contribuer à désorganiser l’identité, voire à la détruire et il devient alors un facteur pathogène de grande puissance ».

Une « désorganisation » du travail peut restreindre l’espace de liberté nécessaire pour trouver des solutions. Lorsque la cadence exigée est trop intense, elle empêche de penser et entraîne un travail dégradé, une qualité moindre, un intérêt affaibli, ce qui était largement ressenti sur les chaînes de montage.

Or, le plaisir dans le travail est fondamentalement lié à la qualité du travail ainsi qu’à la qualité du collectif de travail. Le pouvoir du collectif Être engagé dans une œuvre commune et pouvoir discuter de la qualité du travail, cela instaure des relations de confiance, d’entraide, de savoir-vivre. C’est là que se forment le vivre ensemble, la prévenance, la solidarité et l’estime nécessaires à une bonne cohésion du groupe.

Le travail mené dans un esprit de coopération et dans un espace de délibération permet à l’individu d’aller mieux que lorsqu’il en est privé.

Malheureusement, le tournant “gestionnaire” et non plus humain du travail par la mise en place d’instruments pour casser le collectif et la collaboration ont profondément modifié les pratiques professionnelles.

L’individualisation devient trop grande lorsque l’on impute au seul salarié la responsabilité de sa propre réussite, et avec elle la pression qui l’accompagne. Cela est d’autant plus vrai dans cette période de télétravail.

La décision du gouvernement de supprimer les CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) – qui contribuaient à la protection de la santé physique et mentale et à la sécurité de tous les salariés de l’entreprise grâce à de nombreux dispositifs légaux et un large panel de lois – a coupé les moyens d’actions des représentants des salariés.

Réorganisons le travail

Pour améliorer la situation, nous devons nous attaquer à la question du travail, augmenter la prévention et revoir l’organisation du travail. Les syndicats doivent mettre en œuvre une stratégie, débattre, analyser et inventer de nouveaux outils. Car ce sont des salariés eux-mêmes que doivent émerger les idées eux qui, par leur l’expérience du travail à effectuer, sont les mieux placer pour définir les contraintes et proposer les améliorations nécessaires.

L’action syndicale à venir suppose de réfléchir autrement. Syndicalistes, chercheurs, nous devons leur amener les solutions, ensemble !

Christophe Dejours est psychiatre, psychanalyste et professeur de psychologie (titulaire de la chaire de psychanalyse -santé travail au CNAM et directeur de recherche à l’Université René Descartes Paris V). Il a créé une nouvelle discipline, la psychodynamique du travail. Ses axes de recherches sont la souffrance au travail, les mécanismes de défense contre la souffrance, et le plaisir au travail, la sublimation, l’intelligence au travail au niveau singulier et au niveau collectif. Il est intervenu en tant qu’expert lors du procès France Télécom.

Articles associés