Fusions, rachats, les grandes manœuvres sont engagées pour les entreprises dans les secteurs du numérique, de l’audiovisuel et de l’information, mais aussi dans le monde de l’édition, ce qui n’est pas sans créer des inquiétudes quant à l’hégémonie de certains groupes…
Déjà majoritaire depuis mai, Vivendi (maison mère d’Editis), allié avec le fond Amber Capital, vient d’annoncer ce 14 juin détenir 57,35% du groupe Lagardere (Hachette) à l’issue d’une OPA qui se voulait “amicale” au début des discussions. Le groupe de Vincent Bolloré, géant français des médias, a déjà fait beaucoup parler de lui et de cette opération qui lui donne la suprématie sur de nombreux supports avec l’OPA sur le troisième groupe mondial d’édition et le premier groupe français : le groupe Hachette, Europe 1, Virgin Radio, RFM, Paris Match, le JDD, les points de distribution Relay. On attend une approbation de la Commission européenne et du CSA qui doivent statuer sur les conditions notamment financières de la fusion entre les éditeurs Editis et Hachette. Vivendi possède déjà le deuxième groupe d’édition français avec Editis. Outre les énormes inquiétudes pesant sur l’avenir des salariés du groupe fusionné et la perte de savoir-faire, plusieurs pétitions ont circulé concernant des avantages fiscaux indus perçus par Vivendi SFR, et mettant en avant le risque de perte de diversité littéraire et médiatique. La position éditoriale dominante sur la littérature générale, les manuels et les livres scolaires, ainsi que dans la diffusion risque de tuer la concurrence et de concentrer les idées pour fabriquer de l’opinion. Aux États-Unis où Hachette est une des cinq grandes maisons d’édition, le ministère de la Justice américain a rappelé que ce secteur doit rester pluraliste pour participer pleinement au débat démocratique. La ministre de la Culture sortante avait émis le souhait de réguler le secteur de l’édition, mais elle n’en a pas eu le temps.
C’était en mars dernier : l’autorité de la concurrence annonçait l’ouverture d’une phase approfondie d’examen de la fusion des groupes TF1 et M6. Droits d’acquisition des contenus audiovisuels, édition et commercialisation des chaînes de télévision, diffusion des services de télévision et publicité seront les enjeux de cette fusion. Les parts de marché du groupe fusionné pourraient s’avérer très importantes (75% du marché publicitaire notamment). Le but fixé était, en effet, de constituer un groupe audiovisuel majeur à l’échelle européenne. En jeu l’essor de la publicité numérique, un segment largement occupé par les géants du web américains (la capitalisation boursière de Netflix est par exemple 100 fois supérieure à celle de TF1). D’après l’UDECAM* (Union des Entreprises de Conseil et d’Achat Media) le digital est devenu le premier media français.
Selon la règlementation, un même groupe ne pouvant détenir plus de sept fréquences nationales, les futurs alliés ont déjà projeté des cessions de chaînes. TFX et 6ter iraient ainsi rejoindre Altice Media (BFM, RMC) et l’avenir de la plateforme Salto (cofondée par M6 et France Televisions) est incertain. À la fin de 2021, l’autorité de la concurrence a demandé une deuxième phase d’examen plus approfondie. L’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et l’autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de Presse (Arcep) se penchent telles deux bonnes fées sur le berceau de la future entité et devraient rendre un avis début 2023. Le secteur est traversé par des mutations importantes et une grande diversification, par exemple, dans le cinéma, mais se plaint d’une réglementation trop stricte sur l’indépendance des media, entre les volets production et distribution. Investir dans le streaming et garder l’identité des marques, cela semble le combo retenu par les dirigeants.
La remarquable stabilité de M6 (35 ans d’existence) et de TF1 sera-t-elle toujours garantie dans le cadre de la concentration ? Ce qui est certain c’est que ces groupes en forte dynamique se départiront de tout doublon de services et que la représentativité syndicale sera forcément rebattue.
La French Tech n’est pas en reste. De nombreuses fusions[1]acquisitions ont eu lieu ces derniers mois parmi les start-up du numérique, pour répondre à un besoin de croissance organique et de diversification mais aussi de levée de fonds. Rachat de Jour par Alan, de Tanker par Doctolib, d’Okarito par Swile, de Tradesy par Vestiaire Collective… Les domaines sont aussi variés que la santé, le transport, la personnalisation des sites de e-commerce. Les investisseurs sont au rendez-vous et certaines entreprises, comme Voodoo, se sont dotées d’un service dédié. Le mouvement, certes, est plus global et historique, avec 4 138 opérations de fusions-acquisitions en Europe pour 479 milliards de dollars conclues au premier trimestre 2022, mais les incertitudes liées à l’inflation et aux taux d’intérêt et la guerre en Ukraine vont certainement calmer les opérations.