Faute de pouvoir obtenir les départs de 22 000 salariés sur la base du volontariat. Les dirigeants de la société France Telecom ont mis en place à partir de 2005 un système managérial qui a conduit aux renvois en correctionnel en 2016 : de la société Orange, de son PDG de l’époque Didier Lombard, le numéro deux de l’entreprise Louis-Pierre Wenes, le DRH Olivier Barberot ainsi que 4 cadres dirigeants pour juger de leurs responsabilités dans trente-neuf cas Individuels de salariés (19 suicides, 12 tentatives de suicide et 8 dépressions et arrêts de travail) survenus pour la plupart entre 2008 et 2009. Le jugement en première instance de décembre 2019 avait condamné l’entreprise Orange, ainsi que le PDG, le Numéro 2, et le DRH à des peines d’emprisonnement (un an dont 4 mois fermes pour le PDG, son numéro deux et le DRH), deux cadres avaient été condamnés pour complicité et deux avaient été relaxés. Les juges avaient reconnu, ce qui était une première, le caractère « de harcèlement moral institutionnel ». L’entreprise Orange avait accepté la peine sans se pourvoir en appel, alors que les dirigeants et les cadres condamnés avaient interjeté appel.
En septembre 2022, l’ex PDG et son numéro deux avaient eu leur peine confirmée en appel. Même si les peines et les dommages et intérêts avaient légèrement été réduits (des peines d’emprisonnement uniquement avec sursis), la nature et la sévérité des jugements n’avaient pas bougé. Le DRH Olivier Barberot lui avait finalement renoncé à faire appel.
Aujourd’hui, 13 novembre 2024, la cour de cassation examinait les pourvois du PDG Didier Lombard, du numéro deux de l’entreprise Louis-Pierre Wenes pour harcèlement moral institutionnel et de deux autres cadres dirigeantes pour complicité de harcèlement moral institutionnel. Les avocats des prévenus ont donné l’impression à la CFTC qu’ils n’étaient pas vraiment convaincus par leurs plaidoiries à la cour. Ils tentaient d’expliquer que l’on ne peut pas condamner des dirigeants à une peine qui n’était pas à cette période juridiquement qualifiée et qui était imprévisible.
A la CFTC, nous avons estimé qu’il y avait même une forme d’indécence et de cynisme dans les propos tenus par les défenseurs des prévenus comme par exemples : Une avocate disant à deux reprises à la cour « qu’il ne fallait pas ajouter au malheur des familles des victimes, de l’injustice pour les prévenus ». Ou bien un autre faisant un syllogisme grotesque comme « la législation sur le harcèlement moral a été prévu pour combattre les pervers narcissiques, or Didier Lombard n’est pas un pervers narcissique, donc il n’y a pas de harcèlement moral ». Ou bien encore, pour conclure la séance, un des avocats a souhaité ajouter que si le législateur avait anticipé le cas du harcèlement moral institutionnel qui peut concerner des dizaines de milliers de salariés, alors les peines encourues prévues seraient bien plus élevées que ce qu’elles sont.
Nous avons trouvé en contrepartie les avocats des parties civiles et des victimes bien plus convaincants en plaidant que le harcèlement moral se définit pas par un mode opératoire particulier. Qu’il est protéiforme (harcèlement managérial et institutionnel) aussi bien dans les méthodes utilisées que dans les types de cible, qui peuvent être des individus, mais aussi une collectivité et que c’est cela qui doit être pris en compte pour juger. L’avocate de la CFTC s’est montrée particulièrement indignée par les plaidoiries des prévenus et a fait une comparaison pleine de bon sens. « S’il est interdit de vendre des pommes pourries, c’est interdit pour les reines, les reinettes et les goldens et si on invente une nouvelle variété de pomme, il sera toujours interdit de les vendre si elles sont pourries ».
Nous nous félicitons aussi de la clarté de la plaidoirie de l’avocat général, qui a requis le maintien des peines en allant dans le même sens que les avocats des victimes et a précisé qu’il n’y avait pour lui aucune raison pour que la Cour Européenne des droits de l’homme tranche différemment. Nous nous disons confiant sur le jugement mis en délibéré et qui sera connu le 21 janvier 2025. Nous espérons que les prévenus, s’ils sont condamnés, n’iront pas se pourvoir dans une juridiction internationale. En effet les familles des victimes ont besoin de faire leur deuil et les salariés d’Orange ont besoin de tourner la page de cette dramatique histoire qui a entaché l’entreprise à laquelle ils sont très attachées.